Je ne vous apprendrai pas que dans tous les clubs il y a un poney caractériel que personne n'apprécie...
C'était le cas de Jumpy, grand poney au physique particulier, récupéré d'un centre qui faisait des promenades.
Ma première leçon avec lui fut mémorable. Impossible de l'attraper au pré. J'y ai passé plus d'une heure avant qu'il arrête ses démarrages au galop chaque fois que je m’avançais vers lui. Au pansage, intenable. Les oreilles couchées en arrière, son jeu était d'essayer de tout faire pour me bloquer contre le mur... Ou quand il en avait fini avec ça, de me mordre les fesses pendant que j'essayais de le sangler (elles s'en rappellent encore). Détestant la présence de tous ces congénères, je devais rester dans un coin de la carrière pour le travailler. Et que je donne des coups du cul, et que je fouraille nerveusement de la queue, et que je t'arrache les rênes des mains. J'en ai eu des cloques. Pourtant je suis restée dessus, jusqu'à la fin.
Classé "poney à problèmes", le club a voulu s'en séparer. J'ai trouvé cela injuste. Se débarrasser de lui, c'était se défiler. C'était donner une bombe à retardement à un autre. Je me suis dit que c'était avec un tel poney que j'apprendrai et non pas avec un animal parfaitement dressé et soumis à la routine du manège. Enfin un rebelle, un poney qui se détachait du troupeau. Et j'ai été séduite.
J'ai donc proposé à mon moniteur de le monter à chaque cours ainsi que de le travailler seul. Il a gentiment accepté. C'était une période de ma vie particulièrement difficile, je venais de vivre des moments sombres. Mais me donner ce but m'a redonné confiance en moi. Un cheval ça ne vous juge pas, ça vous teste, c'est franc. Je me suis lancée sans hésiter.
J'ai beaucoup fais de travail à pied, en m'appuyant sur les livres que j'avais lu, sur les vidéos que j'avais visionnées et avec les conseils de personnes expérimentées. J'ai réussi, non sans mal, à le rendre calme au pansage. Il a apprit à apprécier les caresses, les grattouilles. Je plongeais mon regard dans le sien en essayant de le comprendre : "Pourquoi es-tu comme ça ? Qu'as-tu traversé comme épreuves ?". Je jouais avec lui, en liberté. Quel bonheur de le voir détendu, heureux. Il a finit par m'accorder sa confiance, plus vite que je ne le croyais. Un matin, alors que je me préparais au combat physique pour l'attraper au pré, j'ai entendu un grand hennissement. Il était là, à côté de la barrière. Les oreilles pointées vers moi, les muscles tendus par la joie et l'excitation : il m'attendait !
J'ai travaillé sur le plat, à l'obstacle en restant toujours à son écoute et en variant les exercices. J'essayais de faire en sorte qu'il ne s'ennuie pas, qu'il s'amuse. Je m'arrêtais dès qu'il semblait en avoir marre. Je le promenais beaucoup à l'extérieur, en main. Je le montais à cru juste en licol et il me donnait le meilleur de lui-même. En quelques foulées, je m'envolais avec lui, dans sa grâce et son bonheur. Je sentais ses muscles rouler sous mes cuisses, sa crinière me caressait les mains, son souffle et ses sabots rythmaient la cadence.
Je l'ai choisi pour passer mon galop 4. J'ai effectué le parcours d'obstacle en sachant que c'était son point faible. Il a été merveilleux. Vraiment, je n'ai rien fais, il changeait de pied de lui-même, arrivait droit et en ordre sur l'obstacle, on aurait dit qu'il connaissait même l'ordre des obstacles. C'était incroyable. J'ai compris alors que ce poney avait en fait envie d'un peu de liberté. Il suffisait au lieu de le braquer et de l'obliger à s’exécuter à coup de cravaches et à renfort d'éperons, de le laisser faire et de lui faire confiance.
Cela fait longtemps que je n'ai pas de nouvelles de lui. Il restera le petit cheval qui a marqué ma vie.
Ceci lui est dédié.